Aux armes, crucitoyens !

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Les mots croisés ont de plus en plus de mal à se caser, en ce début de 21e siècle. Dans les journaux, cette activité de l’esprit par définition indétrônable, paraît aujourd’hui ébranlée, sinon menacée. Les quotidiens penchent aujourd’hui de plus en plus pour les grilles banales, les mots fléchés, voire le sudoku. Seule la presse périodique semble encline à perpétuer la tradition française, sous la plume d’auteurs issus parfois de leurs propres rédactions.

Le principe est que les jeux publiés doivent être de simples passe-temps, accessibles au plus grand nombre, et non des casse-têtes. Cette logique est à mon sens… illogique ! Les grilles censées faciles s’adressent en effet à un lectorat qui achèterait le journal, même s’il n’y avait pas de mots croisés à sa portée, ni même de mots croisés du tout. À l’inverse, dans une publication dont l’audience générale est bien une somme d’audiences particulières à chaque rubrique, une chronique personnelle d’auteur — à condition qu’elle soit plaisante et signifiante — aurait le don de drainer des lecteurs nouveaux, au-delà du public attitré. Les témoignages ne manquent pas, par exemple, de sympathisants de gauche se disant accros à Laclos dans le Figaro ou de gens de droite voulant « damer le Scipion » dans le Nouvel Observateur ou le Canard enchaîné.

Des mots croisés qui ont un sens

Dans les pas de Max Favalelli qui, en pleine Occupation, proposa la définition : »A bien mérité le bâton » pour le mot MARÉCHAL ou encore de Robert Scipion qui chaque semaine ancrait ses créations dans l’actualité et les libérait parfois des strictes références lexicales, le journaliste de formation (et un temps de métier) n’imagine pas que les énigmes soient déconnectées des réalités ou n’aient pas un regard sur les temps présents. Non, les mots croisés ne sont pas un simple jeu, mais un véritable genre littéraire.

Tel était la raison d’être des rubriques quotidiennes que j’ai tenues de 1995 à 1998, dans le Journal de Genève… puis de 1998 à 2009 au Temps, ou encore des problèmes hebdomadaires que j’ai conçus de 2004 à 2013 dans Femina, le magazine dominical du Matin de Lausanne. Tel est également le fondement des Crucicrèmes que je diffuse par e-mail (dans le prolongement de la chronique du quotidien genevois), des grilles que je réalise pour ma revue Eskimos, les Almanachs Savoyard et Dauphinois, les livres de la collection du Belvédère ou les animations et compétitions des festivals de mots croisés. Même les tournois de collégiens à Is-sur-Tille — où chacune des grilles (adaptées à l’âge concerné) a un sujet et un titre — suivent ce même fil directeur.

Dans l’avant-propos d’un de ses recueils, le verbicruciste Jacques Bens écrivit ceci : « Grâce à cette connivence qu’il entretient avec ses auteurs favoris, l’amateur de mots croisés apprend à se méfier des déclarations trop évidentes, donc à ne plus prendre au pied de la lettre les discours qu’on lui sert. Il sait que tout propos apparemment innocent peut dissimuler une intention plus obscure. Au fond sans recourir au paradoxe, on pourrait soutenir que les mots croisés favorisent le bon usage de la démoncratie (…)« 

À l’époque des conseillers en communication, des spécialistes de la langue de bois ou des chaînes d’info en continu, je pense que ce propos garde toute son actualité.

Crucitoyens, fourbissez vos armes !

J.R.

 
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